Choeur Symphonia Symphonia, chœur symphonique et Sinfonietta, chœur associé

La musique, dans la littérature

5 juin 2020

 
  • Swann entend «  la petite musique de Vinteuil» dans Du Côté de chez Swann ( Proust)

« L'année précédente, dans une soirée, il avait entendu une œuvre musicale exécutée au piano et au violon. D'abord, il n'avait goûté que la qualité matérielle des sons sécrétés par les instruments. Et ç'avait déjà  été un grand plaisir quand, au-dessous de la petite ligne du violon, mince, résistante, dense et directrice, il avait vu tout d'un coup chercher à s'élever en un clapotement liquide , la masse de la partie de piano, multiforme, indivise, plane et entrechoquée comme la mauve agitation des flots que charme et bémolise le clair de lune. Mais à un moment donné, sans pouvoir nettement distinguer un contour, donner un nom à ce qui lui plaisait, charmé tout d'un coup, il avait cherché à recueillir la phrase ou l'harmonie- il ne savait lui-même- qui passait et qui lui avait ouvert plus largement l'âme, comme certaines odeurs de roses circulant dans l'air humide du soir ont la propriété de dilater nos narines.[…]

Cette fois, il avait distingué nettement une phrase s'élevant pendant quelques instants au-dessus des ondes sonores. Elle lui avait proposé aussitôt des voluptés particulières, dont il n'avait jamais eu l'idée avant de l'entendre, dont il sentait que rien autre qu'elle ne pourrait les lui faire connaître, et il avait éprouvé pour elle comme un amour inconnu.

D'un rythme lent elle le dirigeait ici d'abord, puis là, puis ailleurs, vers un bonheur noble , inintelligible et précis. Et tout d'un coup, au point où elle était arrivée et d'où il se préparait à la suivre, après une pause d'un instant, brusquement, elle changeait de direction et d'un mouvement nouveau, plus rapide, menu, mélancolique, incessant et doux, elle l'entraînait avec elle vers des perspectives inconnues. Puis elle disparut. Il souhaita passionnément la revoir une troisième fois. Et elle reparut en effet mais sans lui parler plus clairement, en lui causant même une volupté moins profonde. Mais rentré chez lui, il eut besoin d'elle, il était comme un homme dans la vie de qui une passante qu'il a aperçue un moment vient de faire entrer l'image d'une beauté nouvelle qui donne à sa propre sensibilité une valeur plus grande, sans qu'il sache seulement s'il pourra revoir jamais celle qu'il aime déjà et dont il ignore jusqu'au nom. »

 Ici, le narrateur c'est-à-dire l'auteur, Eric-Emmannuel Schmitt , enfant, découvre le piano. Ce sont des extraits de «  Madame Pylinska et le secret de Chopin «  

«  L'intrus ( le piano familial) s'appelait Schiedmayer et c'était un piano droit. Notre famille se refilait ce parasite depuis trois générations.

   Sous prétexte d'apprendre la musique, ma sœur le tourmentait quotidiennement. Ou l'inverse…Aucune mélodie ne sortait de ce buffet en noyer, mais des coups de marteau, des couacs, des grincements, des gammes édentées, des lambeaux d'air, des rythmes boiteux, des accords dissonants ; entre les Dernier soupir et autres Marche Turque, je craignais en particulier une torture que ma sœur intitulait la Lettre à Elise, conçue par un bourreau baptisé Beethoven, qui me vrillait les oreilles comme la fraise du dentiste.

  Un dimanche, nous fêtions mes neuf ans,  tante Aimée […]souleva le couvercle de bois avec délicatesse comme si elle ouvrait la cage d'un fauve, parcourut les touches des yeux, les effleura de ses doigts fins qu'elle retira soudain quand un feulement traversa la pièce : le félin se cabrait, rétif, menaçant.

  Alors, patiemment, tante Aimée réitéra ses précautions d'approche. De la main gauche, elle flatta le clavier. L'animal émit un son ouaté ; cas unique, il ne trépignait pas, il montrait presque de l'amabilité. Aimée égrena un arpège; réceptif, le rustaud ronronna ; il cédait, elle l'apprivoisait. Satisfaite, Aimée suspendit son geste, toisa le tigre qu'elle avait métamorphosé en chaton, s'assit sur le tabouret et, sûre d'elle autant que de la bête, commença à jouer.

   Au milieu du salon ensoleillé, un nouveau monde avait surgi, un ailleurs lumineux flottant en nappes, paisible, secret, ondoyant, qui nous figeait et nous rendait attentifs. A quoi ?Je l'ignorais. Un évènement extraordinaire venait de se dérouler, l'efflorescence d'un univers parallèle, l'épiphanie d'une manière d'exister différente, dense et éthérée, riche et volatile, frêle et forte, laquelle, tout en se donnant, conservait la profondeur d'un mystère.

  […]Je frictionnais mes avant-bras dont les poils s'étaient redressés et demandai à tante Aimée : « Qu'est-ce que c'était ? » « Chopin, évidemment » .

   Le soir même, j'exigeai de prendre des cours , et une semaine plus tard, j'entamai l'apprentissage du piano.

    [Adulte, après plusieurs années d'apprentissage de l'instrument avec une enseignante aux méthodes fort originales : Madame Pylinska, Eric-Emmanuel parvient enfin à jouer Chopin]              

   «   Je toisai l'instrument .J'avais besoin qu'il me prouve quelque chose. Je frappai un premier accord, un deuxième. Il réagit à la perfection.  Je m'installai et commençai le larghetto du Concerto n°2.  

       La mélodie, l'angélique mélodie, s'évadait, souple, argentine, nette, commode, à la fois liquoreuse et lumineuse, de l'antique Schiedmayer. Elle montait vers le plafond sale et se transformait en prière. Une prière qui ne réclamait rien, une prière qui se débarrassait de la moindre exigence, une prière qui acceptait, qui remerciait, qui rendait grâce.

   Jamais je n'avais joué ainsi. J'atteignais les rives du continent Chopin avec des basses liquides, des mélodies en gouttes, des traits d'écume, le flux, le reflux, l'évidence. Tout ce que m'avait appris madame Pylinska, le silence, les ronds dans l'eau, la rosée, les ramures qui ondulent sur un tronc souple, la décontraction, le chant fragile jusqu'à la brisure mais qui se prolonge à l'infini, tout se réunissait enfin. Les notes venaient comme si je les improvisais ; j'avançais en promeneur, sans exécuter une partition ni savoir d'avance ce que j'allais dire, les phrases musicales se formant sous mes doigts, spontanées, innocentes ; le cœur battant, ébaubi, désireux cependant pour sauvegarder la magie de ne pas m'attarder sur mon ahurissement, j'avais l'impression d'être touché par l'esprit de Chopin. »

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2 commentaires

atexier | 12 juin 2020 à 16 h 23 min Répondre

Textes magnifiques ! Merci Maryse !

arichard | 8 juin 2020 à 22 h 14 min Répondre

Bravo Maryse pour cette « brillante » imitation du sonnet « Voyelle » nous proposant un spectacle de couleurs en écoutant la musique. On a aussi envie de lire en entier Mme Pylinska et le Secret de Chopin et de faire plus de vocalises pour ne pas ronfler! Vive la dopamine et MERCI à toi et toute l’équipe des branchés. Anne R.

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